L’année la plus longue

Daniel Grenier, Le quartanier, 2015

Je me suis d’abord sentie un peu perdue dans ce roman touffu, entre les allers retours d’un siècle à l’autre et d’un bout à l’autre des Appalaches, le plus souvent en compagnie d’Aimé, l’homme qui ne vieillit pas ou peu.

Aimé est né durant l’hiver 1760 d’une mère qui meurt en accouchant dans la rue, en allant retrouver un de ces soldats britanniques en tunique rouge qui patrouillent la ville de Québec (page d’histoire en passant). En 1838, il est sur la route de déportation des Indiens des États-Unis (autre page d’histoire). Sans faire preuve du courage qu’il prétend être le sien, il vient de quitter, sans le vouloir il est vrai, Jeanne, son amoureuse enceinte d’un fils qu’il ne connaîtra jamais. «Que vouliez-vous qu’il fît contre trois?» demande un personnage cornélien au vieil Horace: «Qu’il mourût», répond ce dernier. En effet, Aimé meurt, mais beaucoup plus tard. En 1994. Le hasard, manipulé par Daniel Grenier, le fait disparaître dans l’écrasement d’un avion au-dessus de l’Atlantique. Assise à côté de lui, nulle autre que Laura, la mère de l’arrière-arrière-petit fils qu’il n’a pas rencontré par sa faute, mais qui a comme lui la particularité d’être né un 29 février si bien que «trois années sur quatre, Thomas Langlois n’existait pas.» Si Aimé a vu trois fois la comète Halley, Thomas aura peut-être la même chance puisqu’il a très scientifiquement découvert le secret d’une éternelle jeunesse.

Fantastique, oui, et habilement construit. Le caillou dans la botte d’Aimé, qui gêne sa marche sur la piste des Appalaches en 1838, se répercute en 2000 boulevard Saint-Laurent, à Montréal: «Une petite roche dans sa botte gauche l’agaçait, mais il ne s’est pas arrêté pour l’enlever.» Une bagarre vient d’éclater entre deux hommes, réplique de celle de 1838 entre un guerrier cherokee et un jeune Choctaw.

Et réaliste: les personnages ont les réactions normales d’êtres humains: «Aimé a su que Jeanne le regardait enfin… il a senti son regard, sur son cuir chevelu, sur ses joues rougissantes…» À l’aéroport, l’attente est celle de n’importe quel voyageur attentif à ce qui se déroule autour de lui: «Il y avait des centaines de personnes qui bougeaient autour d’Aimé, qui s’en allaient rapidement dans d’autres terminaux, ou qui sortaient pour trouver des taxis… Chaque fois que la file avançait d’un centimètre ou deux, Aimé prenait sa valise et la déplaçait, la remettait par terre, presque entre ses jambes, bien protégée entre ses genoux…» Et quand Laura s’exclame: «God I hate planes.» et qu’Aimé lui tient la main, c’en est touchant de justesse. Juste avant le crash!
Touffu, ambitieux, ce roman d’un Québécois qui nous entraîne loin dans le temps et l’espace!

Nicole Balvay-Haillot
14 novembre 2015