Fernando Pessoa
À l’origine, des feuilles éparses trouvées dans une malle de Pessoa après sa mort, tel est le Livre de l’intranquillité, finalement publié dans les années 80. C’est en fouillant les pages de mon journal, écrites en 2004, que je retombe sur mes notes. J’avais emprunté le Livre de l’intranquillité à la bibliothèque pour partir en vacances, mais c’est le genre de lecture que l’on veut constamment à portée de sa main, que ce soit pour la déguster à l’ombre d’un arbre d’un vert différent, tout imbibé de silence ou dans la vaste clarté du jour (quand) le calme des sons lui aussi est d’or. Propos décousus, écrits au fil des jours, des saisons, pensées tristes, désabusées, révélant un homme insignifiant dans son quotidien, grandiose par sa spiritualité et sa fantastique plume. Un éblouissement total ! Qui se passe de tout autre commentaire.
Paysage de pluie
Avec chaque goutte d’eau, c’est ma vie manquée qui pleure dans la nature. Il pleut sans fin. Mon âme est tout humide de l’entendre.
Vie
Et aujourd’hui, en pensant à ce qu’a été ma vie, je me sens comme un animal transporté dans un panier, entre deux gares de banlieue. C’est une image stupide, et pourtant la vie qu’elle définit est encore plus stupide.
Tout ce que l’homme expose ou exprime est une note en marge d’un texte totalement effacé. Nous pouvons plus ou moins, d’après le sens de la note, déduire ce qui devrait être le sens du texte, mais il reste toujours un doute, et les sens possibles sont multiples. Ne pas tenter de comprendre, ne pas analyser. Se voir soi-même comme on voit la nature : contempler ses émotions comme on contemple un paysage, c’est cela la sagesse. Tout vient du dehors, et l’âme humaine à son tour n’est peut-être rien d’autre que le rayon de soleil qui brille et isole, du sol où il gît, ce tas de fumier qu’est notre corps.
Voyage
Qu’est-ce que voyager et à quoi cela sert-il ? Nous ne débarquons jamais de nous-mêmes. Quand on sillonne les mers, on n’a fait que sillonner sa propre monotonie.
Pour voyage, il suffit d’exister. Je vais d’un jour à l’autre comme dune gare à l’autre,
dans le train de mon corps ou de ma destinée, penché sur les rues et les places, sur les
visages et les gestes, toujours semblables, toujours différents, comme, du reste, le sont
les paysages.
L’art
L’art consiste à faire éprouver aux autres ce que nous éprouvons … à communiquer aux autres notre identité profonde avec eux, identité sans laquelle il n’y a ni moyen de communiquer ni besoin de le faire.
Écrire
Pourquoi écrire ? Parce que, tout en pratiquant le renoncement, je n’ai jamais appris à le pratiquer entièrement ni renoncé à ma tendance à écrire vers et prose. Il me faut écrire comme on accomplit une peine.
La littérature, comme toute forme d’art, est l’aveu que la vie ne suffit pas. Une fois dans sa vie, lire Pessoa ! Et le relire, intranquille, par amour des mots dans un silence, bruyant de menaces …
Nicole Balvay-Haillot
4 février 2015